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De l'état de cristaux de plastique, à leur état final, pendus aux présentoirs de l'espace médaille de la chapelle de rue du bac, à Paris, les chapelets sont des produits du commerce. Pourtant, ces objets sont des instruments de prière, qui se transmettent de génération en génération, dans les familles de confession catholique. Une dimension sacrée qui n'est plus prise en compte par ceux qui les façonnent.

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MARTINE IMBONA

«J'ai plein de chapelets. Un qui vient du Sacré Coeur, un pour Saint-Joseph (...) La vieille dame de 92 ans, dont je m'occupais, m'a donné celui de son père.»

MARIE LOU WILHARBBR

« Je vis dans le Minnesota (États-Unis). Un ami m'a ramené ce chapelet de Croatie, il y a 20 ans. Je prie avec deux fois par jour, notamment le soir. Je remercie Dieu pour ma journée.»


JEAN-LUC DORLIN

« C'est mon deuxième chapelet. J'ai acheté mon premier rosaire en Guadeloupe, d'où je suis originaire. J'ai acheté ce deuxième chapelet car les couleurs m'ont attiré et surtout pour ma foi.»

À

              genoux, les mains entrelacées et les paupières fermées,                             Martine Imbona tient dans ses mains un chapelet                  

              multicolore. Elle le malaxe entre ses doigts. Dans la chapelle Notre-Dame de la Médaille miraculeuse, en plein coeur du quartier en ébullition du Bon Marché, à Paris, le silence règne. Martine prie comme les quelque dizaines de personnes venues se recueillir, ce mardi soir. 

 

« Tout le mois d'octobre, nous consacrons nos prières aux victimes de l'esclavage, explique Martine Imbona. J'utilise donc en ce moment mon chapelet missionnaire, que j'ai acheté à la chapelle, il y a un mois». Composé de cinq couleurs, ce rosaire permet de dédier sa prière aux peuples des cinq continents. Le vert pour l'Afrique, le bleu pour l'Europe, le rouge pour l'Amérique, l'orange pour l'Océanie et le jaune pour l'Asie.


Pour les employés de Beraudy&Vaure, qui conditionnent ces mêmes chapelets, ces perles de couleurs ne sont pas sacrées. Elles sont simplement des références sur un bon de commande, à enfiler dans le bon ordre. Manipuler ces objets de croyance toute la journée n'a rien de mystique pour les quarante personnes de la chaîne de fabrication des Chapelets d'Ambert. Un discernement qui détone avec la dévotion qu'un croyant peut apporter à ce spécifique collier de perles. 


« J'ai acheté ce chapelet pour ma foi, pour prier. Les perles m'ont plu, sourit Jean-Luc Dorlin. Les soeurs m'ont aidé à déchiffrer le code couleur du rosaire. Elles m'ont également glissé une petite fiche explicative». Il est guadeloupéen. De passage à Paris, ce catholique est venu prier à la Chapelle Notre-Dame de la Médaille miraculeuse. Il partira, avec pour souvenir de ce pélérinage, le même chapelet polychrome que Martine Imbona.


Sur les présentoirs de l'espace médaille de la chapelle, qui n'est en rien différent d'une boutique, une vingtaine de chapelets de coloris divers et matières sont à vendre. De 2 à 8 euros, les prix ne sont pas très élevés. 

​« Le but recherché, n'est pas de se faire de l'argent, précise la soeur, chargée de gérer la partie "diffusion du message" de la chapelle. Nous voulons permettre aux gens de prier et le chapelet est une prière. »

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Il est également inévitable pour les lieux de culte d'en vendre aux pélerins ou touristes pour «diffuser le message de Dieu». La chapelle de Notre-Dame de la Médaille miraculeuse en commande près de 50 000 par an. Quand les visiteurs franchissent la porte de l'espace médaille, où sont vendus les médailles miraculeuses (nom donné à la médaille frappée par Catherine Labouré, selon la volonté de la Vierge), ils viennent décrocher un chapelet de son présentoir pour l'acheter. 


«Les objets religieux ne sont jamais vendus bénis», précise la soeur chargé de l'espace médaille. Des soeurs aptes à bénir ces derniers attendent dans l'allée de la chapelle. Un signe de croix et une prière plus tard, cet objet si cher aux pieux passe du domaine profane au domaine sacré. 

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Ces mêmes objets sacrés sont usinés à plus de 400 kilomètres du VIIe arrondissement, à Ambert. Dans un hangar de 1200 mètres carrés, vue sur les monts du Forez d'Auvergne et de Rhône-Alpes, les 17 employés de Beraudy&Vaure (groupe Martineau) passent d'ateliers en ateliers, de la coupe du bois, à la peinture, en passant par la mécanique des machines centenaires. Ils sont en majorité polyvalents. 


«Nous sommes tellement habitués à les manier tous les jours qu'ils n'ont plus de dimension religieuse», analyse Corinne Lavandier, patenôtrier autodidacte (fabricant de chapelet) et elle-même de confession catholique. Ici, la majorité des employés est croyant. «Mais ce n'est pas un critère d'embauche!», s'exclame Hervé Batisse, le chef d'atelier. Loin des chants religieux et des prières de bénédiction, les chapelets sont ici conditionnés, étiquettés, emballés dans des colis et envoyés à travers le monde. De 1,50 euros à près de 800 euros pour ceux réalisés à partir de diamants, ces porteurs de croyance sont, malgré eux, un véritable vecteur de business.

Fait de 59 perles enfilées sur un fil de fer ou sur une corde, le chapelet est un objet simple. Il prend pourtant une place importante dans la vie des pieux. Offert, laissé en guise d'héritage, acheté aux quatre coins du monde, cet instrument de prière est «personnel». Il est «le lien entre une personne et Dieu, raconte la bonne soeur de la chapelle. Le chapelet est même glissé entre les mains des morts».


De nombreux pratiquants portent toujours leur chapelet avec eux pour pouvoir prier partout. Ce lien matériel devient vite indispensable.

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Du profane au sacré

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À Ambert, les machines ont remplacé les hommes mais sont, elles aussi, du fait-maison. «Les fous de mécanique se régalent face à nos machines.» Le mécanisme qui «pond» les perles en plastique, au rythme d'une toutes les trois secondes, est vieux de soixante ans. Une courroie de distribution et une pompe de voiture composent le système de refroidissment. Le procédé d'injection de la matière première, des granules de polystyrene, est gardé secret. L'engin, multiplié par quatre, produit 20 000 perles par jour, quand il fonctionne 24h/24h. «Le mécanisme se coince souvent», raconte Hervé Batisse, habitué des failles de ce matériel vieux et homemade.



L'entreprise fonctionne pour autant comme n'importe quel commerce. De la conception au packaging, en passant par la vente sur internet, le groupe Martineau a tous les réflexes technico-commerciaux. Mais les produits qu'ils manient ne sont rien d'autre que des croix, des chapelets, des icones et des perles, qui deviendront des liens forts entre Dieu et ses dévots. Même si toute l'équipe est de confession catholique, plus ou moins pratiquante, elle est complétement détachée de la dimension religieuse. 


«Les affaires deviennent plus étranges quand le client est un moine, qui se promène dans les locaux en habit, s'exclame le chef d'atelier. Ces visites nous rappellent, à chaque fois, ce que l'on confectionne vraiment.» 

« Avant de rentrer ici, je savais déjà monter les chapelets», se souvient Corinne Lavandier, employée des Chapelets d'Ambert depuis 27 ans. Sa mère les fabriquait à domicile. Pour être patenôtrier, il n'y a pas de diplôme à passer. «Cet art se transmet de génération en génération.» 


Pince dans les mains, fil de fer autour du poignet, Corinne tord les longues tiges de métal pour en faire des cerles parfaits. Un savoir-faire pas si compliqué selon elle mais qui demande de la patience. En une heure, un monteur confectionne trois voire quatre chapelets «pour les meilleurs». Un rendement qui détonne avec l'idée de travail à la chaine. Pour remplir les commandes, les ateliers prennent six mois d'avance sur les livraisons. 


Pour abattre ces heures de travail, les Chapelets d'Ambert ont toujours payé des patenôtriers à domicile. Aujourd'hui, vingt femmes sont payées entre huit et diz euros les douze chapelets. Elles déposent à l'entrepôt leur travail fini, chacune à leur rythme, d'une semaine à l'autre. «On ne leur met pas la pression, spécifie Corinne Boithias, assistante commerciale. Elles ont une échéance mais c'est un revenu complémentaire. Elles ont pour la plus part un travail à côté.» 


«Elles repartent toujours avec quelque chose», rit Corinne, qui leur prépare ce qu'elle appelle des «kits de montage». Dans un sac hermétique, elle glisse du fil de fer, près de 800 perles et les médailles, sur lesquelles les deux bouts du collier viennent s'assembler.


«Les médailles sont fondues à Saumur (Pays de la Loire), dans la seconde usine du groupe Martineau», regrette le chef d'atelier. L'entreprise, vieille de 165 ans, a perdu plus de 75% de ses effectifs en dix ans. Aujourd'hui, elle continue seulement à créer les perles, stockées par coloris dans de grandes allées d'étagères.

Manufacture mondiale

République tchèque, Allemagne, Italie, Irlande, Pays-Bas, Belgique, Suisse, Canada, États-Unis, Afrique... La liste des clients est longue pour l'entreprise Beraudy & Vaure. Les commerciaux voyagent toute l'année à la rencontre de nouveaux acheteurs. Dans leurs valises, ils trimballent les nouvelles collections, des panneaux de tissus, où sont épinglés des dizaines de chapelets. Face à eux, pour marchander, les interlocuteurs sont des prêtres, des bonnes soeurs, des moines mais aussi des patrons de boutiques spécialisées. 

Un reportage de Caroline Pomes

L'espace médaille de la chapelle de rue du bac.

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Cliquez pour écouter les explications de Martine Lavandier.

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Cliquez pour écouter Hervé Batisse, le chef d'atelier, présenter le dispositif de création de perles.